6 juin, après-midi et soir

… Le passage du pont tournant sur le canal de l’Orne ne présente pas de difficulté du fait qu’il est pourvu d’un tablier de fer qui sert à la fois d’écran et de bouclier. Mais, franchir le deuxième pont n’est pas aisé. Les allemands viennent de placer un lance-flamme à quelques mètres de là, et les commandos retrouvent le canon chenillé qui avait causé des ennuis aux Français, non loin du “Casino”. Il y a aussi un dispositif de mitrailleuses lourdes et de mortiers au lieu-dit Le Hom, à 200 mètres dans le sud-est. Les pertes sont sensibles. Pour leur part, les Français, malgré l’écran de fumée que le Commandant Kieffer avait fait tendre, ont 2 blessés par lance-flamme et 3 par balles. A la sortie du pont, il y a encore 200 mètres à faire avant de pouvoir se mettre à couvert dans le petit bois de Longueville. Cette distance, elle aussi, se révèle meurtrière, les 2 kilomètres qui séparent le pont du carrefour des Ecardes, au nord-est de Bénouville, ont, comme les autres de ces 14,400 km parcourus en zig-zags, leur ration de morts et de blessés. Mais les Français ne subissent pas d’autres pertes cet après-midi-là.

Aux Ecardes, ils tournent sur leur droite et montent jusqu’au Plein. Le Plein n’est pas à proprement parler un village. C’est une petite agglomération autour d’une église, une importante ferme. un café, une dizaine de maisons. L’intérêt de cette position est qu’elle est légèrement surélevée par rapport aux prés et aux champs avoisinants. Quand on arrive au Plein, vers 20 h 00, le hameau a déjà été capturé par le n° 3 Commando. Les allemands qui tenaient ce point payèrent cher leur indécision. Ils étaient équipés seulement d’armes légères et avaient pour tout moyen de transport des charrettes tirées par des chevaux. Au moment de l’attaque, une mitrailleuse “K gun” montée sur jeep les prit à l’improviste et fit un véritable carnage de la petite troupe. Cette dernière s’était assez bêtement rassemblée derrière l’église avec chevaux, charrettes et bagages, dans l’intention bien évidente de se replier en direction du nord (Sallenelles, dont ils ignoraient qu’il était occupé par le 45ème Royal Marine). Le spectacle des hommes et des chevaux morts, serrés les uns contre les autres, avait quelque chose d’assez ahurissant.

[caption id=”attachment_356” align=”aligncenter” width=”188” caption=”La porte de l'enfer - juillet 1962”][/caption]

Les français devaient tenir le Plein jusqu’au 11 juin.

Durant l’après-midi du débarquement, une étrange partie de cache-cache s’était jouée. En effet, la 21ème Panzer division, avec ses 146 chars et ses 51 canons chenillés, avait fait mouvement d’est en ouest, à l’intérieur des terres.

Elle avait engagé le feu avec quelques unités de parachutistes à l’est de l’Orne, dans la matinée - mais dans l’après-midi, elle se dirigeait vers Caen où elle traversait l’Orne… et remontait vers Ouistreham - Riva-Bella. Fut-elle restée à l’est de l’Orne, elle pouvait aisément anéantir la 6ème division aéroportée qui ne possédait pas les moyens de lutter contre elle. La Division britannique n’avait d’ailleurs pour toute liaison avec la tête de pont que les deux ponts de Bénouville qui, le 6 juin après-midi, auraient pu facilement être détruits.

[caption id=”attachment_364” align=”aligncenter” width=”300” caption=”Carte de la région en 2010”][/caption]

Mais il en va différemment, et les troupes 1 et 8, la section de mitrailleuses prennent position au Plein. La troupe 1, dans le pré situé exactement à l’est de l’église. La section K guns, à 100 mètres sur la droite, légèrement en contrebas. La troupe 8, plus à droite encore, à l’orée d’un petit bois en direction de Bréville. Le lieutenant de vaisseau Kieffer installe son P.C. dans la ferme du Plein. La troupe 1 qui, comme on l’a vu, a subi des pertes, est renforcée par deux mitrailleuses Vickers-Armstrong qui sont placées sous le commandement d’un lieutenant du 3ème Commando.

Chacun se débarrasse de son ruck-sack. Il faut maintenant s’enterrer : cette opération dure tard dans la nuit. Il n’est pas question de se nourrir, car il n’avait été prévu comme nourriture pour cette journée que quelques tablettes de chocolat. Il faudra attendre 10 h 00 le 7 juin, pour toucher les premières caisses de rations. Le précédent repas avait été pris le 5 juin, au camp, à 11 h 00.

Mais, avant la tombée de la nuit, une dernière vague de planeurs avait passé sur un ciel orange. Cette vision avait réconforté tout le monde. Au cours de la nuit, plusieurs avions allemands survolèrent les positions, individuellement, et lâchèrent leur chargement de bombes. Ils ne firent que quelques blessés légers.