Le Bonheur de marcher pieds nus dans la rosée

Le Bonheur de marcher pieds nus dans la rosée

Je sortais de l’hôpital d’Angers où j’avais été soigné pour une petite maladie contractée en décembre 1939 à Herbitzheim (Haut Rhin) Je souffrais seulement de ce qu’il est convenu d’appeler “un léger état dépressif”. Avant l’heure réglementaire du petit déjeuner, je m’habillais rapidement. J’allais tout de suite au lieu de mes “méditations” infantiles : un petit pré, derrière le jardin de la Thibaudière – là où tout le monde savait que j’allais quand la solitude était mon seul désir. Allongé sur le dos, je voyais mars se lever sur un ciel un peu bleu, mais strié de nimbus roses. Ce ciel me donnait à penser au Ciel. J’avais seulement vingt et un ans. Pourquoi ne croyais-je plus en Dieu ? Pourquoi pensais-je qu’il n’y avait rien dans cette nature si belle ? Ma sœur, morte maintenant, alors, avec son joli prénom de Marie Antoinette est venue “skipping” gentiment. Comment savait-elle que j’avais quitté le château ? Mais elle savait où me trouver quand j’étais seul et triste. “Je ne connais pas de plus grand bonheur que de marcher pieds nus dans la rosée”. Voilà comment j’ai su que je n’étais plus seul. Elle s’est penchée sur moi et m’a embrassé sur les lèvres. Cette familiarité n’avait rien d’étrange : c’était la première fois qu’elle se le permettait – ce fut aussi la dernière. Elle a pensé que j’avais l’air si triste et délaissé qu’aucun mot n’aurait pu effacer ma détresse. Elle m’a embrassé, pensant avec une simplicité merveilleuse qu’elle ne pouvait faire mieux. Je me suis assis, et ce désespoir ridicule qui m’afflige trop souvent avait disparu. Il n’y avait rien à dire, ni à Dieu, ni à ceux qui sont faits à son image. Dieu était revenu. Marie Antoinette, toujours gambadant, avait disparu, disant encore “Tu ne peux pas t’imaginer comme il fait bon de se balader pieds nus dans l’herbe mouillée”. Guy 10/12/75