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Expert en gazogènes

Montlaur va tout faire pour sortir de France. On peut supposer que l’épisode suivant se déroule début 1942.

Dans la ville, Martin avait acquis la réputation qu’ont les gens « biens ». Il n’était plus palefrenier. Il était maintenant nanti. Personne n’aurait eu l’idée de se demander pourquoi il était nanti. Tout le monde l’était, puisque ce qu’on avait appelé « l’exode » était terminé et que le départ des exilés était un fait accompli. Chacun avait retrouvé son malheur ou son semi-bonheur des années 1939-1940.

Bien sûr il savait que des gens, britanniques, russes (depuis le mois de juillet 1941) mouraient pour quelque chose : mais quoi ? Le goût de la liberté pour eux et leurs enfants ? Pour la démocratie ? La bonne et sinistre blague !

Un jour, il décida d’aller à Tarbes (avec l’argent de Charlotte évidemment). Il y connaissait quelqu’un « d’important » qui fabriquait pour une marque d’automobiles importante, elle aussi, des gazogènes. Appelons cette personne L… Le palefrenier qu’il avait été devint tout d’un coup un relatif expert en gazogènes ! Ce n’était pas un métier difficile, surtout si l’on est arrivé à faire démarrer le matin l’étrange chaudière qui marchait au charbon de bois et si l’on s’est initié aux mystères du « by pass ». Un mois de stage à l’usine était bien suffisant. Et puis, il était aussi payé par le pompeux imbécile L…

L… « Je sais que vous parlez parfaitement le portugais : voici ce que je vous propose. J’ai, en ce moment, un marché avec Lisbonne. Ces imbéciles de portugais ne sont pas fichus de monter un gazogène sur une voiture. Encore moins savent-ils qu’un moteur Diesel est le rêve pour être équipé de la sorte. Vichy vous donnera un passeport. Vous aurez un visa de transit par l’Espagne et un visa d’un mois pour Lisbonne. C’est amplement suffisant. Débrouillez-vous à Port Bou pour aller jusqu’à Barcelone. De Barcelone à Madrid : vous vous débrouillerez aussi. Je peux vous donner, à votre départ de Toulouse, cinq mille francs. » Martin « Merci, Monsieur » L… « A votre arrivée à Madrid, passez à tel numéro Calle Arlaban. On vous donnera ce dont vous avez besoin pour aller à Lisbonne. » Martin « Pardon Monsieur. J’ai vingt-quatre ans. Les Allemands ne laissent sortir de France que les hommes qui ont moins de seize ans ou plus de soixante ans. Il me semble que j’ai le mauvais âge. »

L… « Puisque je vous dis que je m’occupe des questions administratives ne vous occupez pas de ce qui ne vous regarde pas. De plus, on m’a dit que vous n’étiez pas le genre de petit con qui profiterait d’un court séjour à Lisbonne pour aller se joindre à ces cochons d’Anglais. Vous avez déjà reçu la croix de guerre deux fois des mains de deux officiers généraux français. Vous savez où est votre devoir. »

Hélas ! Le pauvre Martin ne savait pas très bien où était « son devoir ». Un devoir, pour lui, était quelque chose d’ennuyeux qu’on s’essaye à faire à l’école.

[caption id=”attachment_160” align=”aligncenter” width=”194” caption=”Chemin de fer - Mars 1950”][/caption]

“Martin” - Montlaur se rendra ensuite à Font-Romeu, puis Barcelone. Il y restera quelque temps, réussissant à communiquer avec les catalans grâce à un savant mélange de portugais et de français. Puis il part à Lisbonne via Madrid. Le récit reprend :

Trois mois, depuis le 10 juillet 1942, s’écoulèrent à Lisbonne (pas un mois). Chaque semaine, il passait à la P.V.D.E (Policia de Vigilencia e de Defence do Estado) disant qu’il attendait un visa pour le Brésil. Il n’était pas mal vu des policiers portugais : ses papiers étaient en règle. S’ils avaient seulement su que la deuxième visite de Martin (la première étant à un senhor Rosa, garagiste, qui devait lui remettre un peu d’argent) avait été à l’Ambassade de Grande Bretagne ! On lui avait dit là (les britanniques savent une chose ignorée de beaucoup d’autres peuples : la confiance chez eux précède la méfiance) que la bonne connaissance qu’il avait du portugais, que sa nationalité française « régulière » était un atout – que, surtout, il ne connaissait pas l’anglais : tout cela pouvait servir. A quoi ?

Il a passé donc trois mois à Lisbonne à l’Hôtel Internacional de la Praça do Rossio, ou se baignant à Estoril. Faisant quoi ? Dieu seul le saura jamais. Peut-être rien.

Un jour, le 16 octobre, il valait mieux pour lui qu’il prît le Douglas de la K.L.M. Pour Bristol. Il prit l’autocar qui devait le conduire à l’aérodrome de Cintra – à demi-saoul et fatigué.

Le voyage jusqu’à Bristol s’est passé sans encombre. Martin avait pour voisin un prêtre irlandais qui venait de Rome (?). La pratique religieuse chez Martin était, pour le moins, réduite. Il avait tout de même un vague sentiment, une impression d’enfance, que si le vieux bi-moteur devait être abattu : ce serait une bonne chose que d’être assis à côté d’un « curé » et de mourir ensemble. Rien de tel ne se passa.

A l’arrivée, il pleuvait, il faisait un peu plus froid qu’au Portugal. On lui offrit une « nice cup o’tea ». Il la but comme les anciens sires devaient boire l’hydromel.

Un charmant personnage de l’Intelligence Service lui demanda : « savez-vous parler anglais ? »

Martin : « Un petit peu. Mais, comme vous le savez, je suis français. Je parle le portugais relativement bien ».

Le personnage qui interroge : « let’s try your english ».

Martin répondit en anglais aux diverses questions qu’on lui posait.

« Do you know, your english is not bad at all, for a Frenchman. Why is that ? »

Martin expliqua qu’il avait été élevé par une gouvernante irlandaise, née dans le Kent près de Canterbury. Le bonhomme avait l’air d’avoir envie de mourir de rire.

Le pauvre émigré eut alors le privilège d’être accompagné par un policier en civil jusqu’au train, jusqu’à Londres. Ce policier avait fait la guerre de 1914. Il était marié avec une française. A un certain moment Martin eut une envie pressante.

Martin : « Je suppose que vous devez m’accompagner. Je pourrais m’évader, me suicider – que sais-je ? »

L’Autre : « Non. Pas vous »

Arrivé à Paddington Station, à la grande surprise de Martin, une vieille Daimler noire les attendait. A la suite d’un itinéraire parfaitement inconnu de l’étranger qu’il était, l’Autre dit au chauffeur et à son passager aussi :

« Don’t you think it might be a good idea to show the foreigner what a pub looks like ? Let’s have the last one ».

Martin trouvait ça une bonne idée. Il n’avait jamais vu un pub de sa vie. On lui demanda ce qu’il voulait boire. Il dit « une Guiness ». Les autres dirent « Baaah ! Et commandèrent deux bitters ». Quand Martin versa sa bouteille de Guiness : Dieu, quelle catastrophe ! Il fallait même lui apprendre à incliner le verre et même si l’on ne veut pas avoir l’air complètement idiot, on est tout de même repéré par la serveuse et classé comme un « foreigner ».

Il était l’heure pour le patron de dire « Time, Gentlemen ».

Les trois lurons, qui étaient un peu devenus comme des amis depuis qu’ils avaient bu de la bière ensemble, s’en allèrent dans l’annexe de Wandsworth prison. On appelait ce lieu Patriotic School : cela avait été une école pour petites filles. Il n’y avait plus de petites ou de grandes filles. Il y avait des sirènes, à la place. Il y avait la guerre et les allemands.

Il arrive quelquefois que des imbéciles, des maquereaux manqués, fassent un jour partie de ce dont se réclament aujourd’hui les « intellectuels », les prébendiers d’une Liberté dont le nom même a perdu sa signification.

21/11/1972

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Saint Martin

Pendant qu’il était à Auch, Montlaur a “repeint”  l’insigne du régiment. Voici une photo de l’insigne qui se trouve peut-être encore sur la porte d’entrée de la caserne Espagne à Auch.

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Odile, décembre 1941

A partir de juillet 1940, et d’après ses Etats Signalétiques de Services, Montlaur est donc palefrenier au dépôt de Cavalerie n° 25 à Limoges. Le 3 octobre 1940 il est au 2ème régiment de Dragons basé à la caserne Espagne à Auch. Il est hospitalisé du 2 au 18 décembre 1940. Le 3 mars 1941 il est nommé Maréchal des logis. Il retourne à l’hôpital en septembre 1941 puis est libéré le 30 septembre et rayé des contrôles le 1er octobre 1941.

[caption id=”attachment_141” align=”aligncenter” width=”248” caption=”sans titre - mai 1954”][/caption]

En décembre 1976, il écrit ce qui lui est arrivé trente cinq ans plus tôt à Paris : Odile

Voici une photo du bonhomme de Bourdelle et quelques explications sur les trois vertus théologales

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Rue Prépapeau, Limoges juillet 1940

Début juillet 1940, Montlaur se retrouve à Limoges. Ce n’est qu’une trentaine d’années plus tard (1969) qu’il relate cet épisode de trois mois. Pour essayer de comprendre l’état dans lequel il se trouve, il faut rappeler qu’il n’a que vingt et un ans, qu’il a combattu sur le front et effectué des raids périlleux en territoire allemand, qu’il y a attrapé une pleurésie, qu’il a traversé la France d’est en ouest, du nord au sud, tout en combattant les troupes allemandes jusqu’au 24 juin, après l’armistice. Empêché de combattre, il échoue à Limoges.

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1936

Avant de parler de 36, il faut remonter au 6 février 1934. Guy était à l’école Sainte Croix de Neuilly et ses collègues fréquentaient plus l’Action Française que le Parti Communiste. Le 6 février 1934, il se retrouve entraîné à 15 ans dans une manifestation qui va le marquer durablement. Il refuse de se laisser embarquer dans une mouvance d’extrême droite contraire à sa morale catholique. En 36, en vacances à Biarritz, il voit de ses propres yeux les effets de la guerre civile espagnole. Ses convictions se trouvent renforcées par l’intervention des fascistes italiens et des nazis au côté des putchistes franquistes. En fait, il est convaincu depuis longtemps et malgré son jeune âge qu’il faudra probablement encore se battre contre les allemands. Il a tendance même à le souhaiter : c’est son vœu lors de sa confirmation. Il a aussi un esprit de vengeance par rapport à son père dont la santé a été gravement altérée par les gaz de combat de la guerre de 14-18 et qui est mort jeune, à cinquante ans. Et puis, à l’époque, il semblait naturel à certains de combattre certaines idées. Il aura l’occasion physique de le faire plus tard.

1936 c’est l’année de sa rencontre avec Adelaide Piper Oates, née à New York en 1920. Elle traverse l’Atlantique à seize ans pour étudier les beaux-arts à l’Académie Julian. Elle repère ce beau jeune homme et accepte une première invitation à déjeuner. Ce qui a été déterminant dans leur entente est l’extrême lenteur avec laquelle ils déjeunaient. Enfin, c’est ce qu’ils aimaient à raconter. Elle habitait rue de Vaugirard, chez Mademoiselle Dercourt, je crois, qui lui a appris le français qu’elle parle toujours parfaitement. Le service militaire puis la guerre va les séparer. Cinq ans. Adelaide travaille au MoMA de New york de novembre 1940 à novembre 1942 puis au State Department, Office of War Information, 57th St New York jusqu’en mai 1943. Elle décide alors de retourner en Europe pour être plus près de Guy. Courageuse ou inconsciente ? Peut-être tout simplement amoureuse. Elle se rend à Lisbonne, pays neutre ayant une liaison aérienne régulière avec l’Angleterre. Elle doit prendre le vol Lisbonne Bristol le 2 juin 1943. Le 1er juin 1943, ce même vol est abattu par l’aviation allemande dans le Golfe de Gascogne. Aucun survivant. Parmi les victimes, l’acteur anglais Leslie Howard.

Elle décide malgré tout de prendre le vol suivant, le lendemain. Un autre point commun qu’ils avaient tous les deux est cette absence de peur, toujours.

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