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10 juin

Le 9 juin est sans histoire. Les canons chenillés des “Hitler Jugend” harcèlent la ligne occupée par les commandos et les parachutistes. Comme ils tirent rarement plus de quatre obus du même emplacement, il est pour ainsi dire impossible de les repérer. C’est pure chance si l’on arrive à les détruire (au mortier ou au P.I.A.T.). Quelques appareils de la Luftwaffe viennent rôder dans la nuit du 9 au 10.

Enfin le jour se leva sur le 10 juin.

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La mort, l’amour… La peinture

Jeudi 25 septembre 1961

J’ai l’impression que j’ai failli claquer. Comment cela s’appelle-t-il : malaise… trouble nerveux ou cardiaque ?… Je ne sais pas. Qu’importe !

Il y a plus d’une semaine que je suis enfermé dans ce bureau où je ne fais rien.

J’étais donc comme en train de mourir. Angoisse et joie mêlées. Puis, brusque retour au conscient. Le cœur bat un peu trop vite. Je prie pendant quelques minutes. Je me calme. J’écris sur un bout de papier ; « Unam petii a domino, hanc requiram, ut inhabitem in domo Domini omnibus diebus vitae meae ». Sur l’autre côté de la feuille, je traduis ce passage du psaume. Il y a une chose que j’ai demandée au Seigneur, elle est l’objet de ma supplication : c’est de demeurer dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie.

Il y a si longtemps que je me serais suicidé si je ne m’étais pas marié! Je crois que Dieu qui comprend tout m’aurait pardonné. C’est curieux ce sentiment que j’ai depuis l’enfance de n’être pas fait pour la vie. Et pourtant, il y a 43 ans que cela traîne…

J’avais un ami dans ma jeunesse. Nous ne parlions, tous les deux, jamais de choses importantes. Nous vivions seulement comme sur deux lignes parallèles. Nous faisions les mêmes bêtises. A 18 ans, il s’est suicidé en se tirant une balle de carabine dans le cœur. Il aimait entendre l’ouverture de « Fidelio », et le disque tournait sur le phonographe quand il s’est tué. Quelques semaines auparavant, j’avais tué une hirondelle avec la même carabine. Il m’avait dit : « Ça porte malheur ». Il n’a prévenu personne qu’il voulait mourir. Il est mort la nuit de Noël.

Maintenant, je comprends pourquoi nous ne parlions pas de choses importantes.

[caption id=”attachment_416” align=”aligncenter” width=”187” caption=”Du sang sur la route - 1er août 1966”][/caption]

Et la peinture ?

Elle m’apparut comme le moyen justement de dire ces « choses importantes » dont nous ne pouvions parler. Ces choses ne peuvent être exprimées en langage clair. Elles sont proprement  indicibles. Elles deviennent floues et finissent par s’évanouir à l’analyse. On ne peut les évoquer que par allusion.

J’avais longtemps pratiqué le métier de peintre. Depuis ma petite enfance j’avais peint à l’huile. Je veux dire que, très tôt, j’en savais plus sur la technique, sur le geste de peindre, que les enfants de mon âge. Petit à petit, très lentement, (avec aussi la longue interruption que fut la guerre et la notion devenue plus précise de ses clameurs, de la mort, de l’amour – comme des trahisons, du mensonge, de la peur) j’ai commencé à comprendre la vraie signification de la peinture. J’ai compris que pour moi elle était plus « allusive » qu’aucun autre mode d’expression. La musique et le verbe (dit ou écrit) le sont évidemment autant pour d’autres. La différence en ce qui concerne la peinture est qu’elle me concerne directement. J’eus la révélation que je pouvais exprimer le mystère, mon mystère, par la peinture, ma peinture.

Et maintenant encore, j’ai envie de crier : « mais regardez-donc ! Regardez le mystère ! Il vous crève les yeux ». Et personne ne voit. Personne que moi. Les gens voient des couleurs, des ombres, des lumières, des formes. Ils voient (que sais-je ?) peut-être la toile et les clous du châssis. Et moi, je ne comprends pas qu’ils ne puissent deviner toute la détresse qui est là, sous les yeux, comme elle était à la guerre : la clameur, la mort, l’amour, la trahison, le mensonge et la peur. Et beaucoup plus encore que je ne puis dire, mais que je sais faire. Je dis bien : je sais faire. Car on ne peut séparer même étymologiquement la signification de la peinture de l’acte de peindre. L’idée platonicienne et la peinture sont deux représentations du mystère réel. Deux modes différents de montrer le mystère. Si je pense au mythe de la caverne, je me dis que la réalité est bien constituée par les personnages que je ne puis voir : mais ma peinture n’est pas seulement les ombres projetées – mais aussi le feu, mais la grotte et moi-même et les personnages enfin. Et le Soleil.

Mon propos, en écrivant ces lignes, n’est évidemment pas littéraire. Il est seulement d’exposer au jour de ma conscience un certain nombre de points aussi clairement que je puis.

De la mort, j’ai eu, j’ai souvent encore un avant-goût assez substantiel. Je dis « goût » à dessein car je trouve deux goûts à la mort : l’un « gustatif » (si j’ose dire), l’autre qui est une sorte d’attirance.

Je crois connaître la signification de la peinture. J’ai essayé d’en dire quelque chose de point trop obscure. Tâche injuste s’il en fut puisque le rôle de la peinture est justement de signifier ce que le langage est impropre à exprimer.

Aujourd’hui je voudrais parler un peu de courage. Il y a quelques personnes qui vivent encore et qui, je crois, ont tendance à penser que j’ai été courageux. Je ne m’en fais pas gloire (personne non plus, d’ailleurs, ne m’en fait gloire !). Il ne serait d’ailleurs que de rappeler cette inadaptation psychique à la vie qui remonte à mon enfance et que j’ai notée plus haut – et cette attirance exercée par ma mort – pour me retirer tout désir (si je l’avais jamais eu) de me vanter.

La forme de courage qui m’occupe n’est pas celle qui consiste à surmonter une difficulté quelconque, mais celle qui est un commerce assez intime avec la mort et dont le prétexte est donné par les guerres et le désir (au demeurant louable) d’éviter aux gens avec lesquels on se trouve de passer de vie à trépas.

Je voudrais tout d’abord remettre ce courage à sa place.

Il est une vertu. Le mot « virtus » veut dire courage. Le mot courage, je le sais, veut dire vertu. Dans le sens « vertu théologale ».

Le courage, c’est la charité.

Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Quand il s’agit de la guerre, il est bien évident qu’il faut altérer la fin de la phrase, qui deviendra « pour ceux qui portent le même costume que soi ». Cette altération, bien sûr, est monstrueuse. Mais, ne pas reconnaître le caractère proprement monstrueux de la guerre montrerait qu’on n’a rien compris à l’enseignement de Jésus-Christ. D’autre part, cacher que cette altération est possible, qu’elle est même la seule manière de « faire passer », en quelque sorte, le crime, serait hypocrisie. D’autant plus que le courage, tel que je l’entends, est le rachat simultané du crime et que, pour ma part, il m’a permis de connaître un amour pour mon prochain qui n’est pas, par ailleurs, une caractéristique évidente de ma nature.

Et c’est là que j’en voulais venir. Je n’ai vraiment ressenti d’amour pour mon prochain qu’à la guerre. C’était un amour si fort que bien souvent j’avais envie d’en pleurer, qu’il m’est arrivé d’en pleurer. Pleurer de rage et d’amour. De rage contre la mort, le bruit, la ferraille. D’amour pour les plaies saignantes, les artères tranchées, les visages, les têtes enfoncés, arrachés.

Emporter sur une brouette un mourant à qui manque la mâchoire inférieure, faire une piqure de morphine à quelqu’un dont l’artère fémorale gicle à ce rythme que l’on connaît bien… Et les cinq litres seulement que le corps a de sang, mais qui, répandus sur le pavé d’une rue, semblent un lac immense… Avoir l’air gai. Calmer. Rassurer. Je crois que nous sommes dans le domaine de la charité. Et c’est peut-être la seule charité que je connaisse.

C’est bien ce même corps sanglant du Christ que je retrouvais partout.

Et maintenant, je n’ai plus rien à dire que ceci, que chacun peut trouver au chapitre III, paragraphe 26, des « Lamentations » de Jérémie :

« Il est bon d’attendre en silence le salut du Seigneur »

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18 juin, de Gaulle, Légion d'Honneur…

Juste parce que demain, c’est le 18 juin. Guy de Montlaur a reçu la légion d’honneur à 27 ans…

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7 et 8 juin

[caption id=”attachment_381” align=”aligncenter” width=”300” caption=”Destruction de la ville - janvier 1955”][/caption]

Dans la matinée du 7 juin, les hommes s’enterrent davantage et aménagent les trous individuels qu’ils agrandissent. Ils creusent des couloirs reliant les trous, fabriquent des toits qui sont recouverts de touffes d’herbes arrachées dans les environs.

A 16 h 00 le même jour, 4 chars allemands, dont un Mark VI, arrivent de Bréville. Ils sont arrêtés par quelques Sherman au moment où ils vont rentrer dans Amfréville, l’un d’eux brûle, et les 3 autres (dont le Mark VI) font inverseur.

Vers 23 h 00, le second maître qui commande la troupe 1 pousse une reconnaissance, accompagné d’un quartier-maître et de 2 matelots. Ils s’éloignent vers l’est, jusqu’à une distance d’un kilomètre, au lieudit Le Bas-de-Bréville. Aucun contact avec les allemands. Mais le lendemain matin (le 8), à 05 h 00, les mêmes veulent refaire le chemin parcouru quelques heures avant : or, à 200 mètres de leurs lignes, ils aperçoivent une forme allongée. Le second maître tire et casse la jambe gauche d’un caporal allemand. Ce dernier est amené au Plein, puis au quartier général de Lord Lovat, à Hauger. Le prisonnier interrogé dit appartenir à l’un des 2 bataillons portés de la 12è S.S. “Hitler Jugend” Division stationnée à l’est du Bas-de-Bréville. Il dit qu’on l’avait envoyé en reconnaissance avec deux autres soldats, en lui donnant l’ordre de rester en observation le plus près possible des lignes alliées, jusqu’à ce qu’un contingent de son bataillon vint le rejoindre. Il dit aussi qu’on l’avait prévenu que les “bérets verts” et les “bérets rouges” fusillaient leurs prisonniers.

Etant donné la nature du terrain (haies, pommiers… les foins n’avaient pas été faits, ni le blé moissonné), Lord Lovat avait donné l’ordre qu’on n’ouvrit le feu en aucun cas à plus de 50 mètres et qu’on fit en sorte de rester aussi camouflé que possible. La défense du Plein consistait en quatre Bren guns, 8 Tommy guns, un mortier de 2 inches et les 19 fusils de la troupe 1, ainsi que les deux vickers du n° 3.

A l’abri du parfait écran que constitue la haie en bordure est, on commence d’apercevoir, à la jumelle, des formes qui rampent dans les hautes herbes, à 200 mètres environ. Il est 09 h 00. Ce n’est qu’à 09 h 45 que l’ennemi atteint la portée de 50 mètres. Le signal est donné, toutes les armes de la position entrent simultanément en action. Le vacarme règne. Le mortier, qui tire long, ajoute à la confusion.

Il y avait peut-être eu une quarantaine de S.S. qui maintenant s’enfuient, s’egaillent parmi les haies. Il s’était agi d’une simple prise de contact entre les gens du Plein et leurs vis-à-vis : elle se soldait par une dizaine d’Allemands laissés sur le terrain.

Il n’y avait pas de pertes du côté franco-britannique.

[caption id=”attachment_396” align=”aligncenter” width=”300” caption=”Il faut être raisonnable mais pas trop - 18 février 1967”][/caption]

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6 juin, après-midi et soir

… Le passage du pont tournant sur le canal de l’Orne ne présente pas de difficulté du fait qu’il est pourvu d’un tablier de fer qui sert à la fois d’écran et de bouclier. Mais, franchir le deuxième pont n’est pas aisé. Les allemands viennent de placer un lance-flamme à quelques mètres de là, et les commandos retrouvent le canon chenillé qui avait causé des ennuis aux Français, non loin du “Casino”. Il y a aussi un dispositif de mitrailleuses lourdes et de mortiers au lieu-dit Le Hom, à 200 mètres dans le sud-est. Les pertes sont sensibles. Pour leur part, les Français, malgré l’écran de fumée que le Commandant Kieffer avait fait tendre, ont 2 blessés par lance-flamme et 3 par balles. A la sortie du pont, il y a encore 200 mètres à faire avant de pouvoir se mettre à couvert dans le petit bois de Longueville. Cette distance, elle aussi, se révèle meurtrière, les 2 kilomètres qui séparent le pont du carrefour des Ecardes, au nord-est de Bénouville, ont, comme les autres de ces 14,400 km parcourus en zig-zags, leur ration de morts et de blessés. Mais les Français ne subissent pas d’autres pertes cet après-midi-là.

Aux Ecardes, ils tournent sur leur droite et montent jusqu’au Plein. Le Plein n’est pas à proprement parler un village. C’est une petite agglomération autour d’une église, une importante ferme. un café, une dizaine de maisons. L’intérêt de cette position est qu’elle est légèrement surélevée par rapport aux prés et aux champs avoisinants. Quand on arrive au Plein, vers 20 h 00, le hameau a déjà été capturé par le n° 3 Commando. Les allemands qui tenaient ce point payèrent cher leur indécision. Ils étaient équipés seulement d’armes légères et avaient pour tout moyen de transport des charrettes tirées par des chevaux. Au moment de l’attaque, une mitrailleuse “K gun” montée sur jeep les prit à l’improviste et fit un véritable carnage de la petite troupe. Cette dernière s’était assez bêtement rassemblée derrière l’église avec chevaux, charrettes et bagages, dans l’intention bien évidente de se replier en direction du nord (Sallenelles, dont ils ignoraient qu’il était occupé par le 45ème Royal Marine). Le spectacle des hommes et des chevaux morts, serrés les uns contre les autres, avait quelque chose d’assez ahurissant.

[caption id=”attachment_356” align=”aligncenter” width=”188” caption=”La porte de l'enfer - juillet 1962”][/caption]

Les français devaient tenir le Plein jusqu’au 11 juin.

Durant l’après-midi du débarquement, une étrange partie de cache-cache s’était jouée. En effet, la 21ème Panzer division, avec ses 146 chars et ses 51 canons chenillés, avait fait mouvement d’est en ouest, à l’intérieur des terres.

Elle avait engagé le feu avec quelques unités de parachutistes à l’est de l’Orne, dans la matinée - mais dans l’après-midi, elle se dirigeait vers Caen où elle traversait l’Orne… et remontait vers Ouistreham - Riva-Bella. Fut-elle restée à l’est de l’Orne, elle pouvait aisément anéantir la 6ème division aéroportée qui ne possédait pas les moyens de lutter contre elle. La Division britannique n’avait d’ailleurs pour toute liaison avec la tête de pont que les deux ponts de Bénouville qui, le 6 juin après-midi, auraient pu facilement être détruits.

[caption id=”attachment_364” align=”aligncenter” width=”300” caption=”Carte de la région en 2010”][/caption]

Mais il en va différemment, et les troupes 1 et 8, la section de mitrailleuses prennent position au Plein. La troupe 1, dans le pré situé exactement à l’est de l’église. La section K guns, à 100 mètres sur la droite, légèrement en contrebas. La troupe 8, plus à droite encore, à l’orée d’un petit bois en direction de Bréville. Le lieutenant de vaisseau Kieffer installe son P.C. dans la ferme du Plein. La troupe 1 qui, comme on l’a vu, a subi des pertes, est renforcée par deux mitrailleuses Vickers-Armstrong qui sont placées sous le commandement d’un lieutenant du 3ème Commando.

Chacun se débarrasse de son ruck-sack. Il faut maintenant s’enterrer : cette opération dure tard dans la nuit. Il n’est pas question de se nourrir, car il n’avait été prévu comme nourriture pour cette journée que quelques tablettes de chocolat. Il faudra attendre 10 h 00 le 7 juin, pour toucher les premières caisses de rations. Le précédent repas avait été pris le 5 juin, au camp, à 11 h 00.

Mais, avant la tombée de la nuit, une dernière vague de planeurs avait passé sur un ciel orange. Cette vision avait réconforté tout le monde. Au cours de la nuit, plusieurs avions allemands survolèrent les positions, individuellement, et lâchèrent leur chargement de bombes. Ils ne firent que quelques blessés légers.

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